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À propos de moi

Lorsque j’étais petite fille, je lisais et je relisais continuellement un gros volume un peu défraîchi trouvé sur la table de nuit de mon père : l’Anthologie de l’épouvante, publiée par les éditions Planète. Quelle étrange lecture pour une enfant, me direz-vous. A la même époque, je prenais conscience du caractère tragique de cette vie où nous ne pouvons jamais nous attacher à quelqu’un sans être hanté par la peur de le voir disparaître. L’Anthologie de l’épouvante fut peut-être ce premier objet d’amour littéraire qui fixa exclusivement et définitivement mon goût sur le genre fantastique, le seul qui donne à voir sans détours nos peurs et nos espérances les plus violentes.

Même si personne ne le définit ainsi, je dirais que le fantastique est le genre qui, spécifiquement, interroge le mystère de la mort et de la condition humaine. Sans donner de réponse, il suggère des perspectives. Qui sommes-nous pour croire que la réalité se limite à
ce que perçoivent grossièrement nos sens ? Les meilleurs esprits des siècles passés n’ont-ils pas tous eu conscience que nous nous agitions sur un théâtre d’ombre dont nous ne savons, au fond, presque rien ? Pour ma part, je suis fascinée depuis toujours par ces menues anomalies qui viennent, un jour ou l’autre, dans la vie de presque tout le monde, déchirer fugitivement la toile du décor : coïncidences, intersignes, bruits inexplicables, déplacements d’objets. Mon travail consiste à donner une forme artistique à ce matériau brut fourni par l’expérience humaine. En ce sens, chacune des histoires que j’écris pourrait être vraie ; et j’imagine même qu’elle est en partie vraie pour quelqu’un, dans un lieu du monde que j’ignore.

D’autre part, je préfère la nouvelle au roman car elle permet de laisser les personnages à l’état d’ébauche. Je n’aime pas l’idée de construire la « psychologie d’un personnage » : plus j’en dis sur lui et plus les ficelles deviennent grosses. C’est aussi pour cela que la plupart de mes personnages ne portent pas de nom. Il me semble que les doter d’une famille, d’un état civil, d’une généalogie et d’un pavillon de banlieue sonnerait faux. Ce serait revenir, avec maladresse, à l’imitation de ce que l’on nomme improprement « le réel ». Par conséquent… Je ne vous tendrai pas un miroir où vous croiriez retrouver les traits de votre visage : je vous tendrai un miroir dans lequel vous vous verrez dénudé jusqu’à l’os.

Mais je ne vous ai toujours pas dit qui je suis. Mon éducation m’a appris à ne jamais parler de moi… J’utilise trois ou quatre noms différents dont aucun ne m’enferme et qui, tous, ne révèlent que les bribes d’une histoire que je crois insignifiante. A une exception près peut- être : celui de Cécile Matt.

Quand j’avais 16 ou 17 ans, j’ai promis à Cécile Matt que je serais écrivain et que je porterais son nom. Elle a ri. Rien ne nous engage autant que les promesses faites aux morts. Après 
plus de 20 ans, je m’acquitte aujourd’hui avec loyauté de cette obligation. Quant à moi, je ne suis plus personne.

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